Ci-dessous un extrait de l’article du site L’Orient Le Jour paru à l’occasion de la représentation à Beyrouth de la pièce « Sérial plaideur » de Jacques Vergès. Jacques Vergès est l’avocat de Georges Abdallah communiste libanais emprisonné en France depuis 1984.
« Comment les Libanais peuvent-ils oublier Georges Ibrahim Abdallah ? » se demande [Jacques Vergès]. Pourquoi aucune action n’est entreprise en faveur de sa libération et, surtout, pourquoi l’État libanais ne prend aucune initiative avec les autorités françaises, alors que l’homme est libérable depuis 1999 ? C’est un appel que Jacques Vergès a lancé aux Libanais, leur rappelant que la volonté des peuples finit toujours par l’emporter, même si cela peut prendre du temps…
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L’article complet :
Par Scarlett HADDAD | 23/03/2010
Spectacle « Deux monologues ne font pas un dialogue. » Cette phrase magnifique ne s’adresse pas aux Libanais empêtrés dans les discussions pour l’adoption d’une stratégie de défense commune, qui pour certains consiste d’ailleurs à remettre en cause les armes du Hezbollah. Elle est prononcée par l’avocat Jacques Vergès dans le cadre de la seconde partie de sa représentation, « Serial plaideur ».
Vergès, qui dans son premier spectacle s’était demandé si la place d’un avocat était sur une scène, établissant ainsi une comparaison entre les audiences d’un tribunal et l’univers du théâtre, a choisi dimanche soir au Music Hall, devant un parterre bouche bée, de décortiquer les liens entre la littérature et le métier d’avocat. Commençant par établir un parallèle entre Antigone et Jeanne d’Arc, toutes deux condamnées à mort à la suite d’un conflit avec les autorités en place, la première posant la problématique de la loi et de la morale et la seconde, celle de la loi et de l’Église, Vergès en est arrivé aux personnages qu’il a été amené à défendre au cours de sa longue carrière.
Certains sont des figures hors du commun, devenues pour certaines parties le symbole de la lutte pour l’indépendance et qui étaient en situation de rupture avec les régimes et d’autres, plus anonymes, sont les fameux criminels de droit commun qui partagent le point de vue des autorités mais pour une raison ou une autre ont laissé s’exprimer, l’espace d’un moment, leur inhumanité, voire leur côté bestial, puisque, comme le rappelle l’avocat, les animaux n’obéissent qu’à leurs instincts. Mais ces criminels n’en restent pas moins des êtres humains qui ont droit à une défense. Souvent critiqué pour le choix de ses « clients », Jacques Vergès rappelle qu’en plaidant en faveur d’un assassin, ce n’est pas le crime qu’il défend, mais l’être humain. Il raconte ainsi devant les auditeurs captivés par sa voix qui épouse, comme lui, les causes qu’il choisit de défendre, les noirceurs, les lâchetés, la faiblesse mais aussi le courage et la détermination de l’âme humaine, cherchant inlassablement à en comprendre toutes les facettes, sans jamais se permettre de porter un jugement. Cela, c’est l’affaire des juges qu’il ne se prive pas d’égratigner au passage, à cause de leurs certitudes et de leur facilité à se cacher derrière les lois pour ne pas se laisser aller à un peu d’humanité.
Jacques Vergès reprend le fameux procès de Jamila l’Algérienne, cette jeune femme qui a défié les autorités françaises parce qu’elle luttait pour l’indépendance de son pays, expliquant comment il s’est investi pour la défendre prenant lui aussi de grands risques et misant sur la médiatisation de son cas et en définitive sur la générosité et la grandeur du général de Gaulle (Jamila est par la suite devenue son épouse). Il a ensuite défendu d’autres membres du FLN algérien, mais aussi des fedayine qui luttaient pour la Palestine (ce qui lui a d’ailleurs valu d’être expulsé d’Israël), le ministre des AE de Saddam Hussein, Tarek Aziz, l’ancien président serbe Slobodan Milosevic et bien d’autres.
L’avocat français a aussi défendu Anis Naccache, un Libanais accusé d’avoir participé à la tentative d’assassinat de Chapour Bakhtiar, dernier Premier ministre du chah d’Iran. Craignant de croupir dans sa cellule, Naccache avait fait appel à Jacques Vergès qui, à son habitude, a misé sur la médiatisation de l’affaire dont il prend la charge. Leur dernière rencontre avait eu lieu alors que Naccache était sur un fauteuil roulant, lancé dans une grève de la faim totale. Naccache a été remis en liberté et les deux hommes se sont perdus de vue. Ils se sont retrouvés au Music Hall, chacun ayant fait son chemin depuis leur brève mais décisive collaboration. Anis Naccache est devenu un homme libre et continue à militer pour la cause palestinienne et pour la résistance, alors que Jacques Vergès continue de défendre ses clients, indépendamment des crimes dont ils sont accusés.
C’est ainsi que son chemin a aussi croisé celui de Georges Abdallah, un Libanais aussi, accusé d’avoir participé à un attentat contre deux Israéliens et un Américain, dans le cadre de sa lutte pour la cause palestinienne. Détenu exemplaire, il est en prison depuis 27 ans et, selon Vergès, il doit être libéré. Non sans humour, l’avocat reconnaît qu’il détient sans doute le record des clients condamnés à mort. Mais dans la plupart des cas, il a réussi à leur éviter la peine capitale. Parfois, il a pu même obtenir leur remise en liberté. Mais dans chaque cas, il y avait une opinion publique qui appuyait sa demande.
« Comment les Libanais peuvent-ils oublier Georges Ibrahim Abdallah ? » se demande-t-il. Pourquoi aucune action n’est entreprise en faveur de sa libération et, surtout, pourquoi l’État libanais ne prend aucune initiative avec les autorités françaises, alors que l’homme est libérable depuis 1999 ? C’est un appel que Jacques Vergès a lancé aux Libanais, leur rappelant que la volonté des peuples finit toujours par l’emporter, même si cela peut prendre du temps…
Avocat de toutes les causes, les justes et celles qui le sont moins, Jacques Vergès reste avant tout un grand connaisseur de l’âme humaine dans sa turpitude et sa grandeur, un homme hanté par certains de ses clients et toujours en quête de nouveaux dossiers qui sont aussi de nouvelles pages de la vie.