Une exigence : la libération de Georges Abdallah

par Jacques Kmieciak, journaliste militant.

Interview pour le site Investig’Action de Christian Champiré, maire de la ville de Grenay (Pas-de-Calais) qui a élevé en 2012 Georges Abdallah au rang de citoyen d’honneur :

Pour quelle raison avez-vous élevé Georges Ibrahim Abdallah au rang de « citoyen d’honneur » en mai 2012 ?

Sollicités par le comité « Libérez-les ! » 59 – 62, nous avons emboîté le pas à André Delcourt, maire PCF de Calonne-Ricouart, qui en avait fait de même quelques semaines auparavant. A l’époque, on se disait que la plaisanterie avait assez duré, que ça ne pouvait pas continuer comme ça plus longtemps. Georges Ibrahim Abdallah en était déjà à 28 ans d’emprisonnement… On avait bon espoir qu’il sorte. Il avait déjà battu le « record » de Nelson Mandela !

La municipalité a été déçue dans ses espérances ?

Effectivement, il n’en fut rien. Pire, certains médias continuent aujourd’hui de propager des rumeurs fausses. Dernièrement, dans une émission télévisée consacrée au groupe Action Directe, le journaliste a évoqué la responsabilité des frères Abdallah et des FARL dans les attentats commis en France en 1986. Or, ils n’avaient rien à voir avec ces attentats dont l’Iran était responsable. Les frères Abdallah pouvaient difficilement être en même temps au Liban et en France. Pourtant, trente-cinq ans après, on continue de raconter les mêmes fables, de donner des éléments pour essayer de justifier l’injustifiable, pour légitimer le fait qu’un militant condamné pour « complicité d’assassinat », soit toujours en prison 37 ans après… Alors que les terroristes iraniens ont été libérés et que la France s’est entendue financièrement avec la république islamique d’Iran !

Comment ont réagi les habitants à votre initiative ?

Ici, on assume nos engagements. C’est un débat que l’on a franchement avec la population, contrairement à ce qu’affirme l’opposition (Rassemblement national). L’an dernier, à la veille des élections municipales, on a procédé au dévoilement d’une plaque en l’honneur de Georges Ibrahim Abdallah, à l’occasion de la présentation par Pierre Carles du documentaire qu’il lui consacre. Situé au square de l’Amitié, cette plaque est toujours en place. Personne ne l’a dégradée ou abîmée. A l’époque, le sous-préfet avait été interpellé par l’opposition qui s’interrogeait sur la raison d’une telle cérémonie en l’honneur d’Abdallah avant les municipales. En réponse, j’ai juste rappelé au représentant de l’État qu’une délibération du conseil municipal de mai 2012 avait fait de Georges, un « citoyen d’honneur » de la ville et qu’ainsi nous étions fondés à fournir des informations sur sa situation. Nous sommes dans une logique internationaliste. L’internationalisme, c’est l’ADN du communisme s’il veut perdurer.

Quid de la mobilisation aujourd’hui ?

Nous avons aidé Pierre Carles à financer son documentaire et l’avons invité en février 2020, à en débattre. Il aimerait aller au Liban filmer la famille de Georges, mais en ce moment, c’est compliqué. Il aimerait aussi interviewer Christiane Taubira, l’ancienne garde des Sceaux, pour avoir sa version. Là aussi, c’est un peu compliqué car elle est en Guyane en ce moment. La sortie de ce film est cependant espérée pour cet automne. Fin mars, nous avons repris la proposition des camarades des Collectifs Libérons Georges Ibrahim Abdallah de Tarbes (Hautes-Pyrénées) d’envoyer au président de la République une carte postale. Après y avoir ajouté le logo de notre commune, nous les avons distribuées au porte-à-porte avec le journal municipal. Les habitants pouvaient l’envoyer directement à l’Élysée ou alors la déposer dans une urne installée en mairie. Elles ont été envoyées à Emmanuel Macron.

Quel message adressez-vous par ce biais au président de la République ?

La carte rappelle qu’en janvier 2013, les juges conditionnaient la libération de Georges à son expulsion vers le Liban, son pays natal. Il revenait donc à Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur d’alors, de signer un arrêté d’expulsion. Or, pour Georges, il a refusé de le signer, alors même que le Liban l’attendait et acceptait de l’accueillir. Le pays d’origine n’a pas toujours envie de voir revenir son ressortissant. Là, ce n’était pas le cas. Le plus dramatique dans cette histoire, c’est que Manuel Valls fanfaronnait partout qu’il fallait expulser tous les terroristes de France. Les signataires de cette carte postale demandent donc au président de faire « signer l’arrêté d’expulsion de Georges vers le Liban ». La proportionnalité de la peine est un élément essentiel de la justice, de notre justice. Plus de 37 ans d’emprisonnement pour une « complicité d’assassinat », cela n’a plus de sens depuis trop longtemps.

Quel lien Georges Abdallah entretient-il avec le pays des Cèdres ?

Il a un comité de soutien au Liban. Récemment encore, l’ambassadeur du Liban en France et Marie-Claude Najm, la ministre libanaise des Affaires étrangères sont allés le voir à Lannemezan (Hautes-Pyrénées), où il est détenu. Nous sommes dans un pays où la liberté d’expression est prétendument acquise depuis 1789.  Mais, dans ce cas précis, un oukase du gouvernement français a imposé à ces autorités libanaises le silence sur cette visite. Il ne fallait pas en parler ! La France se présente comme l’« amie » du Liban puisqu’elle l’a colonisé sur les ruines de l’Empire ottoman avant qu’il ne se déclare indépendant en 1943. En août dernier, Emmanuel Macron est allé à Tripoli et à Beyrouth pour rendre hommage aux morts de l’explosion du port de Beyrouth. Il a même tancé le gouvernement libanais sur ses insuffisances. Pourtant, cette amitié s’arrête au maintien en détention d’un résistant qui a mené le combat pour la libération de la Palestine, certes contre la politique menée au Moyen-Orient par les puissances occidentales et par Israël.

Quel est l’état d’esprit de Georges Ibrahim Abdallah aujourd’hui ?

Il continue d’assumer ses actes et de revendiquer le droit du peuple palestinien à l’indépendance ; ça ne fait pas de lui un antisémite pour autant, mais un adversaire de la politique d’extension d’Israël, ça s’est sûr. Ça fait aussi juste de lui un homme qui a des convictions sur le fait, comme le dit la charte de l’ONU, que les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes et que ce n’est pas aux occupants de décider des lois du pays. En 1948 lors de la création de l’État d’Israël, la position de la France était de dire que les Palestiniens avaient aussi droit à leur État. C’était encore le cas en 2017 lorsque la France s’est prononcée pour que le drapeau palestinien soit présent à l’ONU !

Comment expliquez-vous la posture de l’État français ?

Pour l’instant, il oppose à l’exigence de sa libération un silence assourdissant. Nous l’avons sollicité à plusieurs reprises. Sa seule réponse est de dire que c’est à monsieur Abdallah de faire les démarches pour obtenir sa libération. Pourtant des démarches, il en a fait beaucoup, une dizaine. Elles ont toutes abouti à son maintien en prison. C’est de la malhonnêteté intellectuelle. Abdallah a bien expliqué que tant qu’il n’y aurait pas d’arrêté d’expulsion pris à son encontre, il ne reprendrait pas de démarche sur le plan juridique. Il s’agit donc bien d’une détention politique. Je rappelle qu’il a été condamné à la perpétuité avec 15 ans de sûreté. On en est aujourd’hui à 37 ans de détention. De surcroît, il ne s’est jamais mal comporté en prison. Il n’a jamais commis d’actes répréhensibles. Même le directeur de la prison de Lannemezan reconnaît qu’il s’agit d’un prisonnier modèle.

D’aucuns remettent en cause l’indépendance de la Justice dans cette affaire

A plusieurs reprises, la Justice a ordonné sa libération. Depuis 2004, il y a eu plusieurs décisions qui aurait dû permettre d’obtenir sa libération. A chaque fois, c’est l’État français qui a fait appel de ces décisions ou qui n’a pas répondu à l’appel des juges. En 2004 déjà, c’est Dominique Perben, alors ministre de la Justice, qui a demandé au parquet de faire appel d’une décision favorable à sa libération. Il s’agissait bien d’une pression gouvernementale. J’ai du mal à me l’expliquer. Depuis 2012, je m’interroge vraiment sur les raisons de son maintien en détention.

Propos recueillis par JACQUES KMIECIAK

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