au parloir de la prison de Lannemezan
Récit de ma première visite à Georges Ibrahim Abdallah
Par Gilbert Hanna *
« On ne peut regarder un homme sans voir l’humanité entière. L’injustice dont est accablé un seul ne peut que frapper les autres. » Calum McCann, Transatlantic
Le matin du Jeudi 17 Octobre 2013 **, à 6 h du matin, direction Lannemezan. « Ting tang tung. France inter : « Attention dans la vallée de la Garonne, un brouillard épais ». Un brouillard, brr, qui lisse les choses, efface les contours mais donne le spleen pour la visite d’un prisonnier. Et quel prisonnier !
Ah ! la belle autoroute A65, la plus chère de France, que le « privé » veut encore rentabiliser au nom de la sécurité, qui me pousse dans ce brouillard, qui enfume les esprits en même temps que le monde qui nous entoure. Direction les Grottes de Médous ; comme une prémonition me traverse l’esprit, les grottes de Médous… le fond du trou. Pensée trouble qui me vient à l’esprit en allant rendre visite à un homme « libre » en prison.
Comment notre conscience collective peut-elle laisser un homme dans l’enfermement total, derrière un mur gris qui absorbe les saisons et lisse l’espace ?
Les préoccupations du moment ne sont pas seules en cause, c’est aussi la perte des valeurs de ceux qui nous gouvernent qui ont, dans le brouillard, trempé et trompé la démocratie bourgeoise. Trempées aussi les solidarités humanistes dans les intérêts égoïstes des rapports internationaux. Pourquoi, diantre, le Président de la République, un socialiste qu’il dit, n’a-t-il pas saisi la force des jugements pour ordonner sa libération ? Ah soumission quand tu nous tiens !
Le soleil perce et inonde ma tête. La lourde porte s’ouvre pour m’enfoncer dans la lumière artificielle d’un parloir. Après un « abrazo » long et chaleureux comme pour rattraper une longue attente… Une pièce exiguë sert de parloir qui nous oblige à un tango (un pas en avant, deux pas en arrière) pour nous installer l’un en face de l’autre. Désignant l’endroit, Georges, sans doute l’expression dérivée d’une amère dérision, s’exclame : « C’est un énorme acquis des luttes des prisonniers ».
Notre première conversation tourne autour des luttes à l’intérieur de la prison et s’oriente vers une analyse des plus précises sur l’évolution de l’univers carcéral en France tant en ce qui concerne les conditions de détention que les bâtiments et les détenus.
J’ai trouvé entre ces murs uniformes un homme libre, lumineux de sagesse de tolérance mais ferme dans ces idées. J’ai discuté avec un révolutionnaire au fait de l’actualité des révolutions et contre-révolutions. Il me cite Gramsci : « L’ancien monde est en train de mourir, un nouveau monde est en train de naître, mais dans cette période intermédiaire, des monstres peuvent apparaître. »
Pendant ce temps les deux « boursouflés » de la République se « disputent », l’un pour le-tout prison, et l’autre pour punir sans enfermer.
Le brouillard m’envahit à nouveau. Un homme vit et lutte encore.
On y est !!! Les réactionnaires ont privé pendant 30 ans les combattants arabes et palestiniens d’un atout majeur dans la lutte contre les obscurantistes américains et religieux.
A l’instar du dirigeant palestinien Marwane Barghouti pris dans les rets des Israéliens, l’Occident a privé les arabes progressistes d’un révolutionnaire d’une grande intelligence. Il en récoltera le prix en termes de djihadisme erratique généré par son meilleur allié, la dynastie wahhabite.
Il a 62 ans, et « ils » tremblent, encore, de le voir sortir ! Combien de militants révolutionnaires, les régimes alliés de l’occident ont-ils éliminés pour asseoir sur notre route l’obscurantisme d’un épais brouillard ?
Depuis trente ans, il est derrière les murs gris des geôles françaises, depuis 10 ans à Lannemezan.
Quarante ans ont passé depuis l’étincelle déclencheuse de cette prise de conscience militante. Depuis lors, Ariel Sharon, le maître d’œuvre du siège de Beyrouth et des massacres des camps palestiniens de Sabra Chatila (1982) est depuis belle lurette un légume encombrant, même pour les partisans du « Grand Israël » ; son successeur, Ehud Olmert, carbonisé par la relève militante des Palestiniens, le Hezbollah libanais, artisan de deux défaites psychologiques et militaires de la puissance majeure du Moyen orient, et le djihadisme erratique des paumés de l’islam alimentés par les pétromonarchies se substituait au militantisme pro palestinien.
En contrechamps, Georges Ibrahim Abdallah, la force de l’exemple et de la détermination, polyglotte, maîtrisant parfaitement l’arabe, la langue du Liban et de la Palestine, l’âme de son combat, son territoire d’exil et son ressort énergétique, mais aussi le français, la langue de ses geôliers, l’espagnol, la langue d’Emiliano Zapata, de Che Guevara et de Salvador Allende, l’italien pour, grâce à la beauté de cette langue, entonner « Bella Ciao » et bientôt le turc.
Et la France… ??? La France comme de juste réduite au rôle de sous-traitante carcérale du condominium israélo-américain, impose à son personnel politique, la reddition, dans la pure tradition des républiques bananières.
* Gilbert Hanna, syndicaliste à SUD Solidaires 33, est président de la Radio La Clé des Ondes (90.10), animateur de deux émissions tous les lundis, membre de Palestine-33 et du Collectif 33 pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah à Bordeaux. http://hannagilbert.overblog.com/
** 52 ans jour pour jour du 17 Octobre 1961, massacre des Algériens à Paris.