Déclaration de Georges Ibrahim Abdallah – 16 décembre 2002

Tout comme l’année précédente, Georges Ibrahim Abdallah mène une grève de fin solidaire avec les prisonniers politiques en Turquie, tout comme de nombreux autres prisonniers politiques de par le monde.

July 1986, Lyon, France --- Abdallah Georges Ibrahim is suspected of being the leader of the Lebanese Armed Revolutionary Forces, thought to be behind a wave of terrorist attacks in France. --- Image by © Armel Brucelle/Sygma/Corbis

Camarades,

Deux ans après le criminel assaut du 19-22 décembre, la grève de la faim « à tombeau ouvert » se poursuit encore dans les prisons turques. Quelle terrible lutte et quelle abnégation révolutionnaire ! Bien que n’ayant pour armes que leur inébranlable volonté et une conscience de classe très développée, nos camarades incarcéré-e-s assument courageusement toutes les responsabilités du détachement le plus avancé des avantgardes communistes et révolutionnaires en Turquie ; cette position d’avant-postes révolutionnaires ils l’ont conquise de haute lutte ; Au fil des ans, elle est devenue un des obstacles majeurs à la normalisation impérialiste en Turquie. L’anéantissement du mouvement révolutionnaire étant la condition sine qua non à l’intégration au sein de l’Europe impérialiste, la bourgeoisie turque ne peut plus tolérer l’existence de ces avant postes révolutionnaires. Il faut les détruire comme prélude à la destruction globale des organisations antagonistes. Ainsi pour la bourgeoisie, la normalisation des prisons devient-elle de plus en plus une nécessité impérieuse qu’il faut réaliser à tout prix et dans le plus bref délai, d’où toute l’importance de cette héroïque lutte contre les mouroirs du type F. L’issue de cette bataille est capitale pour l’avenir des forces vives en Turquie et dans la région.

Aujourd’hui, les voici encore nos camarades, à la place qui est la leur ; Ils s’opposent depuis 25 mois à la mise en œuvre de ces mesures d’anéantissement qui visent l’ensemble du mouvement révolutionnaire dans ce pays. Cette héroïque résistance a atteint dès le début de l’assaut du 19 décembre une dimension qui dépasse de loin le terrain de la lutte contre la répression carcérale ; jusqu’à présent on compte pas moins d’une centaine de martyr-e-s et la liste de nos camarades estropié-e-s est encore beaucoup plus longue. En dépit de ce coût humainement insupportable et de toutes les pressions et manœuvres bourgeoises imaginables, nos camarades n’ont pas cédé. Ils continuent le mouvement sous le même mot d’ordre et avec la même ferveur laissant ainsi largement le temps à toutes les autres composantes du mouvement révolutionnaire en Turquie afin qu’elles assument les responsabilités et les taches qui sont les leurs.

Nos camarades exigent la suppression des prisons type F comme condition non négociable, préalable à toute suspension de leur mouvement de grève. Nos camarades savent très bien ce qu’il en est du poids réel de la solidarité manifestée à leur égard ; ils n’ignorent rien de la très faible mobilisation en faveur de leur principale revendication en dépit de leur terrible lutte et leurs énormes sacrifices. Ils sont parfaitement conscients de la réalité des rapports de forces aussi bien au niveau national qu’au niveau régional et international ; Et pourtant, nos camarades maintiennent leur exigence telle quelle la suppression des prisons type F comme condition non négociable préalable à toute suspension du mouvement de grève.

Nos camarades incarcéré-e-s ne sont nullement des désespéré-e-s exaltés et suicidaires sombrant dans un éternel délire macabre ou mystique ; Nos camarades n’ont rien à voir avec les Davidiens de Waco ou je ne sais quelle autre secte d’illuminés acculés au suicide collectif. Nos camarades sont des communistes, pleins de générosité et d’humanité ; optimistes comme tous les révolutionnaires, ils adorent la vie ; leur parcours même n’est qu’un hymne à la vie ; c’est pourquoi d’ailleurs, ils sont résolument engagés dans la lutte contre l’esclavage capitaliste ainsi que toute forme d’exploitation et d’aliénation. Nos camarades affrontent la mort pour que les millions puissent vivre dans la dignité et la prospérité ; ils embrassent la mort en souriant, conscients que l’avenir nous appartient et que certainement nous vaincrons ; Ils demeureront éternellement en vie dans les cœurs et la conscience des masses populaires. Nos camarades savent que le système capitaliste ainsi que ses vermines, ces tortionnaires et autres parasites criminels finiront dans les poubelles de l’histoire et quoiqu’ils fassent ces derniers, ils n’échapperont certainement pas à la justice révolutionnaire. La détermination de nos camarades nous interpelle tous aujourd’hui ; elle nous rappelle à nos devoirs envers ceux et celles qui sont les plus dignes camarades de Mahir Çayan, d’Ibrahim Erdogan, de Sabahat Karatas, de Sibel Yalçin, de Mustafe Cetiner et de Sibel Sürüsü et de tou-te- s les autres aussi.

Certainement, la solidarité est sacrée, comme le dit justement le camarade Pierre Carette dans sa lettre aux signataires de la Plate-forme ; bien entendu nous jeûnons solidairement avec eux, non seulement quatre jours comme le demandent les camarades de la Plate-forme internationale de Lutte contre l’isolement, mais une semaine comme le propose le camarade Pierre dans sa déclaration au nom des signataires de la Plate-forme du 19 juin à l’adresse du prochain rassemblement à Noordwijk. Seulement il n’est pas inutile de rappeler que la solidarité est une arme qu’il faut savoir s’en servir essentiellement pour faire avancer la lutte. Or cette dernière est intimement liée à la stratégie et aux objectifs immédiats proposés par les diverses composantes du mouvement communiste combattant en Turquie et non pas seulement, ni principalement par nos camarades incarcéré-e-s. Il se trouve que depuis le début de cette lutte un seul détachement, à savoir celui des incarcéré-e-s, assume pleinement ses responsabilités et suscite une certaine mobilisation au demeurant fort limitée. Toutes les autres composantes du mouvement communiste, à savoir toutes ces organisations communistes combattantes en Turquie, ces avant- gardes révolutionnaires, ne se sont pas positionnées réellement jusqu’à aujourd’hui, en tant que telles, dans ce mouvement contre les prisons de type F. C’est ce qui explique d’ailleurs en partie la piètre mobilisation nationale et régionale en faveur de cette terrible lutte…

Certains d’entre nous trouvent qu’il est très préoccupant, voire complètement incompréhensible que le mouvement communiste combattant dans ce pays s’adresse principalement aux prisonnier-e-s pour susciter un certain élan de solidarité et ne trouvent moyen de s’affirmer dans cette bataille qu’exclusivement à travers la résistance héroïque des camarades incarcéré-e-s. Bien entendu, en tant que prisonnier-e-s révolutionnaires signataires ou pas de la plate-forme du 19 juin, nous ne pouvons qu’être solidaires de ces valeureux camarades en lutte, et nous ne saurons épargner aucun effort qui pourrait leur être utile. Cependant aujourd’hui, pour beaucoup d’entre nous, il est nécessaire et urgent que les organisations communistes combattantes en Turquie clarifient leurs positions au-delà de la solidarité fourre-tout…

Evidemment, l’insupportable coût humain qu’a payé et continue a payer passivement le mouvement communiste révolutionnaire dans ce pays ainsi que l’absence d’initiatives développées autour de cette héroïque résistance, ne peuvent que nous inciter à aller au- delà des légitimes expressions de sympathie et d ‘émotion. Face à cette héroïque et dramatique résistance, il est temps de faire une mise au point de la situation avec un certain détachement qui permet d’approcher cette lutte en allant au- delà de l’émotion. Cette tâche incombe principalement aux organisations communistes en Turquie…

Certains d’entre nous trouvent qu’aujourd’hui, la lutte des camarades incarcéré-e-s en Turquie e besoin, plus que toute autre chose, d’initiatives appropriées qui empêchent le mouvement communiste combattant de s’enliser encore plus dans cette passivité défensive épuisante. Bien évidemment, se dégager du marécage de la passivité défensive, ne veut nullement dire abandonner le terrain de la lutte contre les prisons fascistes et à plus forte raison celles de type F ; Seulement, si important qu’il soit ce terrain de lutte en ces moments, on ne peut pas l’assumer qu’en l’intégrant dans la dynamique globale de l’affrontement de classe et aussi en tenant compte du rapport des forces réellement existant… Certains d’entre nous trouvent que les organisations communistes combattantes sont appelées à radicaliser encore plus cette lutte contre les prisons de type F, justement en assument la place et le rôle qui sont les leurs et non pas en faisant de la solidarité et de l’anti-répression l’unique terrain de leurs activités et surtout en ne considérant pas les camarades incarceré-e-s comme étant l’unique effectif disponible pour cette bataille… De derrière les barreaux où nous sommes, appelons ensemble camarades, toutes les forces révolutionnaires à un engagement plus ferme aux côtés de ceux et celles qui se battent contre les mouroirs du type F et qu’elles soient à la hauteur de leurs sacrifices ! En répondant favorablement à la proposition des camarades de l’IRSP/INLA à travers l’appel du camarade Pierre Carette pour la grève solidaire du 16 au 22 décembre, nous serons par la même, nombreux à commémorer avec le camarade Çakir Erdogan4 nos martyr-e-s tombé-e-s lors de l’assaut criminel du 19-22 décembre.

La solidarité est une arme ! Honneur à nos martyrs ! Vive la résistance des prisonnier-e-s révolutionnaires en Turquie ! ENSEMBLE NOUS VAINCRONS !

Georges Ibrahim Abdallah, Q.I. de Fresnes, le 16 décembre 2002. 1. Il s’agit de la Plateforme du 19 juin 1999

Notes. 1. Il s’agit de la Plateforme du 19 juin 1999. NOTES 2. La Plate-forme internationale de lutte contre l’isolement s’est constituée en Allemagne d’abord, et dans d’autres pays ensuite, pour soutenir la grève de la faim des prisonniers de Turquie. 3. Organisations de la gauche indépendantiste irlandaise dont les prisonniers avaient également appelé à se solidariser avec la grève de la faim en Turquie. 4. Prisonnier révolutionnaire turc détenu en France, ayant commencé une grève de la faim de solidarité.