Rétention de sureté et Centre National d’Observation

En ce jour de commémoration de la prise de la Bastille, un article du blog « liberongeorges » qui prend le temps de revenir sur la loi de rétention de sureté, sur la commission pluridisciplinaire chargée d’évaluer la « dangerosité » de certains détenus et sur le Centre National d’Observation.

La rétention de sureté est une mesure qui permet de garder emprisonné un détenu au delà de la durée de sa condamnation et ce d’une manière infinie.

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Tout d’abord la présentation de la loi par le ministère de la Justice (Extrait)

La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a été a été publiée au Journal Officiel du 26 février 2008.

La loi propose, tout d’abord, la création de la rétention de sûreté, mesure permettant de retenir , à titre exceptionnel, dans un centre fermé, dénommé centre socio-médico-judiciaire, les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour certains crimes et qui présentent à l’issue de leur peine, une probabilité très élevée de récidive et une particulière dangerosité résultant d’un trouble grave de leur personnalité. […]

Cette évaluation sera réalisée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, créée par la loi du 12 décembre 2005 pour le placement sous surveillance électronique mobile, et composée d’un magistrat, d’un préfet, d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un directeur des services pénitentiaires, d’un avocat et d’un représentant d’une association n€ationale d’aide aux victimes.

A cette fin, la commission demandera le placement de la personne, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d’une expertise médicale réalisée par deux experts.

Si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné et au risque élevé de récidive,  elle proposera, par avis motivé, au procureur général le son placement en rétention.

La présentation de la loi sur le site du ministère de la Justice ici.

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Bien que la rétroactivité de la loi ait été censurée par le conseil constitutionnel, une circulaire précise les dispositions immédiatement applicables dont une qui concerne les condamnés à la réclusion à perpétuité. Sont notamment concernés plusieurs prisonniers politiques, dont Georges Cipriani, Régis Schleicher et Georges Ibrahim Abdallah.

Circulaire de la DACG n° 08-08/E8 CRIM du 29 février 2008 portant application de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ; dispositions immédiatement applicables.

3. Avis obligatoire de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté en cas de libération conditionnelle des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité.

L’article 12 de la loi, qui est immédiatement applicable aux personnes condamnées exécutant des peines privatives de liberté, conformément aux dispositions du V de l’article 13, complète l’article 729 du code de procédure pénale afin de mieux encadrer les décisions de libération conditionnelle concernant des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité (quel que soit le crime commis).

Il est désormais prévu que ces personnes ne pourront bénéficier d’une libération conditionnelle qu’après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l’article 763-10 du code de procédure pénale. Il s’agit d’un simple avis qui ne lie pas le tribunal de l’application des peines, le Conseil constitutionnel ayant supprimé l’exigence d’un avis « favorable » qui avait été prévu par le Parlement.

L’avis de la commission doit être donné dans les conditions prévues par le deuxième alinéa du nouvel article 706-53-14 du code de procédure pénale, soit à l’issue du placement de la personne, à la demande de la commission, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d’une expertise médicale réalisée par deux experts. En pratique, ce placement doit intervenir dans le centre national d’observation de Fresnes.

[…] L’obligation de saisir la commission et de procéder à l’évaluation du condamné s’appliquant immédiatement, y compris pour les dossiers de libération conditionnelle déjà en cours d’instruction, à la suite d’une demande formée avant le 27 février 2008, ces nouvelles dispositions sont donc susceptibles de justifi er le renvoi d’affaires audiencées devant les tribunaux de l’application des peines, du moins dans les cas où une libération conditionnelle est envisagée. (Note de CPLGIA, ce paragraphe souligne de manière flagrante la rétroactivité de la loi. Même les dossiers en cours d’examen sont concernés).

La circulaire ici

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Le syndicat de la magistrature et d’autres s’opposent à cette loi. L’extrait d’un appel publié sur le site http://www.contrelaretentiondesurete.fr explique les raisons de leur opposition.

  • Parce que la rétention de sûreté, comparable dans sa philosophie à la peine de mort, est une peine d’élimination préventive susceptible de graves dérives ;
  • Parce que la rétention de sûreté ajoute de l’enfermement à la peine de prison, déjà anormalement longue en France au regard des standards européens, et constitue en conséquence un traitement inhumain et dégradant ;
  • Parce que la rétention de sûreté implique un pronostic arbitraire de la « dangerosité », dont les contours ne peuvent être clairement définis, ni par les psychiatres, ni par les juristes ;
  • Parce que la rétention de sûreté est une violence institutionnelle inacceptable qui prive les détenus de tout espoir de liberté ;

L’appel  « contre la rétention de sureté » ici

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Pour bien montrer ce qu’est la mission du Centre National d’Observation et son orientation psychiatrique, nous reproduisons ci-dessous un extrait de l’ordonnance de placement des détenus concernés par la nouvelle loi. Précisons que cette loi, malgré ce qui a été dit par les députés et les sénateurs qui l’ont votée, s’applique à de nombreux détenus et pas seulement à celles et ceux considérés comme de pervers dangereux criminels sexuels.

Ordonnance du placement d’un détenu au centre national d’observation des détenus de la maison d’arrêt de FRESNES pour une durée d’un moins six semaines aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.

Mission de l’expertise médicale

1) Prendre connaissance de tous documents utiles contenus dans son dossier pénitentiaire et notamment des précédentes expertises psychiatriques et médico-psychologiques dont le détenu a fait l’objet,

2) Analyser l’état actuel de la personnalité du détenu,

3) Dire si l’intéressé reçoit un traitement,

4) Analyser les dispositions de la personnalité du condamné dans les registres de l’intelligence, l’affectivité et la sociabilité et apprécier les dimensions pathologiques éventuelles, faire ressortir les facteurs familiaux, personnels et sociaux ayant pu influencer sur le développement de sa personnalité,

5) Préciser son évolution entre le moment des faits et aujourd’hui,

6) Rechercher si l’intéressé a pris conscience de la gravité des faits qu’il a commis,

7) Apprécier l’état de dangerosité actuelle du détenu,

8) Déterminer l’intelligence, l’habilité manuelle et l’attention,

9) Préciser si des dispositions de la personnalité ou des anomalies mentales ont pu intervenir dans la commission de l’infraction,

10) D’une façon générale, fournir toutes données utiles à la compréhension du mobile des faits et le cas échéant de son traitement

11) Indiquer dans quelle mesure la personne est susceptible de se réadapter et préciser quel moyen il conviendrait de mettre en œuvre pour favoriser sa réadaptation,

12) Dire si un suivi psychiatrique ou médico-psychologique lui sera nécessaire après sa libération.

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Cette ordonnance s’applique à toutes les catégories de prisonniers. Est-ce pathologique de braquer une banque ? C’est certes illégal mais cela ne relève pas de la médecine. Pour les prisonniers politiques c’est encore plus flagrant. Si Israël avait fait passer une expertise psychiatrique à Samir Kuntar, prisonnier politique libanais emprisonné en Israël durant presque 30 ans, pour justifier son maintien en détention, cela aurait été une provocation et aurait soulevé une désapprobation internationale. Il en aurait été de même en Afrique du Sud pour Nelson Mandela. Or aujourd’hui, Georges Ibrahim Abdallah, prisonnier politique libanais emprisonné en France depuis bientôt 25 ans, a reçu une convocation pour le CNO. Des médecins vont « fournir toutes données utiles à la compréhension du mobile des faits et le cas échéant de son traitement ». Les faits sont ceux revendiqués par les FARL (Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises), à savoir l’exécution de deux agents américain et israélien. Ce sont des actes de résistance qui peuvent être jugés politiquement mais qui ne relève pas de la médecine.

Les prisonniers politiques ont toujours refusé la psychiatrisation de leurs actes. Ils ont toujours assumé la responsabilité des actions revendiquées par leurs organisations. Et dans le cas des prisonniers politiques d’Action directe, ils ont toujours refusé l’individualisation.

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Un article de « l’inter » décrit ce que sont les conditions imposées par le CNO et la nouvelle confrontation que cela impose au prisonnier.

« Ce qui signifie revenir après plus de deux décennies de prison, à des conditions de maison d’arrêt: les parloirs réduits, l’impossibilité de téléphoner. Se retrouver sans livres, sans rien pendant des heures et devoir construire l’attente. Etre confronté à des fouilles incessantes et en elles-mêmes violentes. Se voir confronté au monde que l’on refuse: les médecins et les psy. Et devenir objet d’études! Pour qui? ».

L’article de « l’inter » ici.

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La dureté des conditions est égale pour tous les prisonniers, qu’ils se revendiquent politiques ou non. L’extrait d’un article du Monde est à ce sujet illustrant « Les détenus qui ont souvent fait un séjour au CNO et suivi plusieurs expertises s’inquiètent d’un retour à Fresnes peu avant leur sortie. Un détenu du centre de détention du Pontet (Vaucluse) a entamé une grève de la faim pour protester contre l’application de cette loi sur la rétention de sûreté. ».

L’article du Monde ici.

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A sa sortie la loi avait suscité certains remous et le conseil constitutionnel avait fait semblant de censurer la rétroactivité de la loi. Le gouvernement a détourné cette speudo censure. A cette occasion un rapport a été commandé au premier président de la Cour de cassation, Vincent LAMANDA (Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux).

Alors que l’on constate que cette loi s’applique à toutes les longues peines indépendamment des faits condamnés, le rapporteur fait semblant de ne voir que des cas psychiatriques chez ces condamnés. Ainsi déclare-t-il en préambule « On peut être tenté de classer les meurtriers et les violeurs par type. Le sadique et l’impulsif, le pédophile et le père incestueux, le « pervers » et « l’immature » ne présentent pas le même degré de dangerosité. ».

Un seul extrait suffit à montrer quelle société ces gens souhaitent. M. LAMANDA prend soin de préciser qu« une société totalement délivrée du risque de la récidive criminelle, sauf à sombrer dans les dérives totalitaires, ne serait plus une société humaine. Le phénomène, à des degrés divers, selon les lieux et les époques, marque malheureusement l’histoire du monde. ». Mais il préconise par exemple « pour remédier aux difficultés posées par la surveillance électronique mobile, du fait de la nécessité de recueillir le consentement du condamné, de s’assurer de l’absence de toute contre-indication médicale et de vérifier la faisabilité technique, il est proposé de prévoir une obligation moins contraignante, mais permettant un contrôle rapproché de l’intéressé, consistant à lui imposer la détention d’un téléphone mobile spécialement paramétré.

Ce téléphone mobile permettrait, par l’envoi de messages à intervalles réguliers, une géolocalisation de l’intéressé et assurerait son identification par un système de reconnaissance d’empreintes digitales couplé à un contrôle visuel par caméra intégrée. De tels téléphones sont déjà disponibles sur le marché, d’une fiabilité satisfaisante, avec un taux d’erreur inférieur à 1/10.000. Leur coût, de l’ordre de 400 euros, devrait être moindre que celui d’un bracelet de surveillance électronique mobile. Il permettrait à l’administration pénitentiaire de demeurer en contact avec l’intéressé, en opérant des contrôles, éventuellement aléatoires, d’une périodicité tenant compte de sa dangerosité, mais préservant des conditions de vie normale. Il donnerait à l’intéressé la possibilité de contacter un travailleur social en cas de difficultés.

Compte tenu de l’allégement sensible que représente cette mesure par rapport au port d’un bracelet de surveillance électronique mobile, on pourrait permettre, à la juridiction régionale de la rétention de sûreté, d’ordonner une telle mesure qui ne nécessiterait pas l’accord de l’intéressé, en substitution d’une surveillance électronique mobile, dès lors qu’elle l’estimerait suffisante. »

 Le rapport complet ici.

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Pour conclure, alors qu’il y a tant à dire sur cette loi, nous ne pouvons qu’appeler à la vigilance sur la situation des camarades convoqués par le CNO et à la mobilisation contre cette loi.

Libération de tous les prisonniers politiques !

Abolition de la loi sur la rétention de sûreté !

La prison détruit, détruisons la prison !

Article publié le 14 juillet 2008 sur http://liberonsgeorges.over-blog.com/