Extrait de l’article de Jann-Marc Rouillan paru dans CQFD N° 26
… Ce même après-midi, le gouvernement de la France accueille officiellement les deux assassins de Sabra et Chatila, l’égorgeur et le complice : Samir Geagea et Ariel Sharon [1]. La société est-elle devenue à ce point amnésique ? À l’aube d’un matin de septembre 1982, plus d’un millier de cadavres furent découverts dans le camp palestinien au sud de Beyrouth, essentiellement des vieillards, des femmes et des enfants. Qui se souvient encore ? L’un, israélien, assiégeait et bombardait la ville, l’autre, libanais, achevait la besogne. L’un encercla le camp, l’autre y pénétra pour y perpétrer les crimes, rue par rue, maison par maison. Le chef des Forces libanaises n’en était pas à son coup d’essai. On dirait aujourd’hui qu’il avait le profil d’un multirécidiviste. Tout jeune milicien, il fut de ceux qui déclenchèrent la guerre civile en mitraillant une vingtaine de travailleurs palestiniens dans un bus à Ain-Arroumana, le 13 avril 1975. Puis les massacres succédèrent aux massacres, les viols aux assassinats, encore des femmes et des enfants, celles et ceux des taudis à la Quarantaine le long de la corniche, puis à Tell Al Zatar, après le « nettoyage » de Nabaa, à nouveau des centaines et des milliers de victimes. Et Geagea grimpa jusqu’au sommet de la hiérarchie phalangiste.
Depuis des mois, dans sa grande mansuétude, le gouvernement français pressait son homologue libanais pour qu’il amnistie M. Geagea. Onze ans de prison, c’était vraiment intolérable ! Onze longues années, vous vous rendez compte ! Aujourd’hui ils l’accueillent en héros, il sera soigné dans les meilleurs hôpitaux. Une heure plus tôt, mon camarade Georges Ibrahim Abdallah me précédait devant le Tribunal d’application des peines. Lui, il aura bientôt accompli vingt-deux années de prison et, après la libération de Samir Geagea, il demeure le dernier prisonnier de la guerre civile libanaise. Mais lui combattait dans les tranchées d’en face, celles des défenseurs du Liban contre les envahisseurs israéliens, celles qui protégèrent les quartiers populaires libanais et les camps de réfugiés palestiniens. Il fut de ces combattants-la.
D’ailleurs le procureur le lui reprocha : « Abdallah est un communiste révolutionnaire, il l’avoue lui-même. Vous vous rendez compte, un communiste… » Comme s’il s’agissait d’un crime ! De nos jours, dans les prisons françaises, se revendiquer du communisme constitue la preuve manifeste d’une dangerosité extrême pour la société et la propriété… Au moins, quelque part, cela me rassure. Ainsi,même en négatif, il en reste, avec nous, quelques-uns à croire au projet radical de transformation sociale ! Et Samir Geagea ? Le père Gemayel reconnut sans se faire prier qu’il s’inspira des mouvements fascistes européens d’avant guerre pour fonder l’organisation de M. Geagea. J’imagine que ce genre de politique est bien plus approprié à l’air du temps post-moderne, surtout pour un procureur. Par contre… « Abdallah est un communiste… Il fait même des grèves de la faim en soutien aux prisonniers palestiniens, il va jusqu’à proclamer que l’lntifada vivra… Et après vingt-deux ans de prison, s’il rentre à Beyrouth, pour la population des quartiers pauvres, il sera un martyr… C‘est insupportable ! C’est ce que nous reprocheront les Américains et les Israéliens, voilà pourquoi, monsieur le Président, votre décision est politique… »
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